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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 22:30
Saint Aristobule

Aristobule de Britannia est mentionné dans toutes les listes des 70 disciples de Jésus, dont le témoin littéraire le plus ancien semble être la liste attribuée à Hippolyte de Rome (début du IIIe siècle).

Il y est indiqué qu’il a été au Ier siècle, le premier évêque de la province de Britannia, la province romaine du sud de l’île de Grande-Bretagne, conquise par Aulus Plautius, sous l’empereur Claude en 43-47.

Les 70 disciples sont mentionnés dans l’évangile attribué à Luc qui indique qu’ils ont directement été institués par Jésus, mais qui, contrairement au groupe des douze, n’en donne pas la liste.

C’est peut-être lui qui est mentionné dans les salutations que l’apôtre Paul de Tarse adresse vers 54-58 à un ensemble de chrétiens de Rome.

Paul écrit dans son Épître aux Romains : « Saluez Apelle, qui a fait ses preuves dans le Christ. Saluez les membres de la maison d’Aristobule (Ro 16. 10 [archive]). Saluez Hérodion, mon parent. ».

Selon Saint Dorothé, évêque de Tyr mort en 362, celui qui est salué par Paul dans l’épître aux Romains est Aristobule de Britannia.

Toutefois, certains historiens estiment que la maison citée serait plutôt celle d’Aristobule de Chalcis, arrière-petit-fils d’Hérode le Grand, dont il a été émis l’hypothèse qu’il puisse être Aristobule de Britannia ou l’un de ses fils lui-aussi appelé Aristobule.

Cet Aristobule, ayant une grande demeure à Rome, avec des esclaves, des serviteurs ou des affranchis chrétiens y demeurant est cité juste avant Hérodion (en), que Paul désigne comme « [s]on parent » (Ro 16. 11 [archive]).

Hérodion est un « nom grec qui est un diminutif d’Hérode, qui indique des liens entre sa famille et la descendance d’Hérode le Grand. »

Cela « suggère qu’il fut élevé auprès d’un prince de cette dynastie, dans une position subalterne ».

Comme d’autres critiques, Marie-Françoise Baslez propose de l’identifier avec Aristobule de Chalcis.

Selon la tradition orthodoxe, cet Hérodion parent de Paul serait Hérodion de Patras (en).

Dans la mesure où ils sont donnés pour avoir tous deux été le premier évangélisateur de l’île de Bretagne et morts tous deux à Glastonbury dans la même période, il a été proposé d’identifier Aristobule à Joseph d’Arimathée.

Le nom Joseph est en effet présent chez les hérodiens, un frère d’Hérode le Grand et donc de Salomé porte ce nom.

Un demi-frère de Bérénice est aussi appelé Joseph.

Il pourrait donc s’être appelé Joseph Aristobule. L’habitude de donner deux noms est en effet bien attestée chez les Hasmonéens, associant souvent un nom juif et un nom grec.

Il en est de même chez les hérodiens, comme en témoignent Hérode Antipas, Hérode Archélaos et probablement Hérode Philippe.

Les textes qui relatent l’évangélisation de la Grande-Bretagne qui parlent de Joseph d’Arimathée ne parlent jamais d’Aristobule et l’absence réciproque est constatée pour ceux qui parlent d’Aristobule.

Les premiers témoins littéraires qui relatent que le christianisme était solidement implanté sur l’île de Grande-Bretagne datent du début du IIIe siècle. Tertullien, mort en 222, écrit dans Adversus Judaeos que l’île de Grande Bretagne, y compris dans ses repaires Bretons les plus inaccessible aux Romains, est « subjugué au Christ ».

Le Royaume médiéval de Powys qui correspond à la région qui était appelée Arwystli (en) auparavant, forme galloise du nom Aristobule, donnée à cette région en honneur à Aristobule de Britannia.

Aristobule serait un juif, lié à l’île de Chypre, membre des 70 disciples]] de Jésus, un des premiers évangélisateurs de la Grande-Bretagne avec Joseph d’Arimathie.

La tradition orthodoxe dit qu’il était le frère de Barnabas, vu comme l’apôtre Barnabé ayant dirigé le premier voyage missionnaire auquel l’apôtre Paul de Tarse a été associé.

Il est toutefois possible qu’il y ait une confusion avec Barnabas qui a été l’évêque de Milan, lui aussi membre des 70 disciples.

Il aurait été un des assistants de l’apôtre André avec Urbain de Macédoine (en), Stachys de Byzance, Ampliatus (en), Apelles d’Heraklion (en), Narcisse d’Athènes (en), dans une prédication initiale qui aurait donc probablement eu lieu en Grèce.

Avant de se rendre sur l’île de Grande-Bretagne, il aurait prêché la bonne nouvelle aux celtibères.

La renommée de l’apôtre Aristobule parmi les Celtes brittoniques était telle qu’une région du Pays de Galles a été nommée d’après son nom, à savoir Arwystli (en), qui est devenue au Moyen Âge le Royaume de Powys.

Aujourd’hui, un district continue à porter son nom, ou plus précisément, un cantref dans le comté de Powys au Pays de Galles.

Les sources chrétiennes antiques les plus anciennes qui font références à un Aristobule ayant vécu au Ier siècle sont l’Épître aux Romains de Paul de Tarse et les listes des 70 disciples, notamment celles attribuées à Hippolyte de Rome et à Dorothée de Tyr, toutefois celles-ci sont extrêmement lapidaires et ne permettent pas une identification faisant consensus.

Certains critiques ne faisant d’ailleurs aucun lien entre ces deux sources, alors que dès le IVe siècle Dorothé de Tyr indique que ces deux mentions concernent le même personnage.

Les listes des 70 disciples mentionnent en général explicitement Aristobule évêque de Britannia, alors qu’en revanche la lettre de l’apôtre Paul mentionne un Aristobule dont il ne précise pas l’identité, mais qui est clairement quelqu’un de riche, dont la maison dans la capitale romaine est tenue en son absence par des esclaves ou des affranchis.

Selon Dorothé de Tyr (IVe siècle), ce sont les gens de sa résidence de Rome qui sont salués par l’apôtre Paul de Tarse vers 54-58 dans l’Épître aux Romains.

Paul de Tarse écrit dans son Épître aux Romains : « Saluez les membres de la maison d’Aristobule (Ro 16. 10 [archive]). Saluez Hérodion, mon parent. ».

Les « membres de la maison d’Aristobule » sont les serviteurs, les esclaves ou les affranchis d’un riche personnage appelé Aristobule possédant une résidence à Rome.

Le nom Aristobule fait penser à la dynastie hasmonéenne dont plusieurs membres portent ce nom.

Les hasmonéens sont des Juifs de Palestine et à la fin des années 50, moment où cette lettre est écrite, la quasi-totalité des membres du mouvement créé par Jésus sont Juifs, même si certains d’entre-eux sont très hellénisés.

Pour la période considérée (vers 54-58), il n’y a que deux ou trois Aristobule possibles et notamment Aristobule de Chalcis qui est alors roi d’Arménie Mineure et de Chalcis. Un de ses fils a aussi été évoqué.

Selon la tradition, les membres des 70 disciples ont directement été choisis par Jésus qui selon cette même tradition, n’est intervenu pendant sa vie publique qu’en Palestine et dans le sud de la province de Syrie.

Tout comme les douze apôtres et même Paul de Tarse, les 70 disciples sont Juifs, ayant choisi de se rallier à une « Voie » particulière dans l’extrême diversité du judaïsme du Ier siècle. Aristobule de Britannia ne fait donc probablement pas exception.

Tout concours à penser qu’Aristobule est un juif qui s’est rallié à la « Voie du Seigneur » et qui a connu Jésus en Palestine ou en Syrie.

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28 avril 2024 7 28 /04 /avril /2024 19:30
Les traditions de la Pâques orthodoxe orientale

Dimanche 5 mai, les chrétiens orthodoxes fêteront Pâques à leur tour, plus d’un mois après les catholiques et les protestants. À cette occasion, les orthodoxes ont des us et coutumes particuliers. De la Grèce à la Russie, en passant par l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, voici les différentes traditions liées à la Pâques orthodoxe. 

S’ils partagent la même croyance et célèbrent tous la Résurrection du Christ à l’occasion de Pâques, la date et même les traditions ne sont pas les mêmes entre chrétiens catholiques, protestants et orthodoxes. Alors que les orthodoxes se préparent à fêter Pâques le dimanche 5 mai 2024, petit aperçu des différents rites et coutumes partout dans le monde. 

Les œufs peints 
C’est une tradition commune à tous les pays où l’orthodoxie est présente : les œufs peints. Ici, pas question d’œufs en chocolat, mais bel et bien d’œufs de poule qui sont peints ou plutôt teints, à l’occasion du Jeudi Saint. Ceux-ci sont généralement teints en rouge, pour symboliser le sang du Christ. Traditionnellement, les œufs sont teints dans de l’eau chaude avec des pelures d’oignon ou du vinaigre, mais il existe d’autres techniques notamment avec la betterave rouge ou du colorant artificiel. Certains vont plus loin et décorent les œufs avec de la cire d’abeille. De nos jours, il existe même des autocollants pour les décorer. 

Une fois ces œufs peints, il n’y a pas de chasse aux œufs comme le veut la tradition en France, mais des jeux divers. En Russie, il existe notamment le jeu de la glissade des œufs. Il faut faire rouler un œuf décoré sur une planche inclinée afin qu’il touche les autres œufs en bas. Celui qui en touche le plus a gagné. 

En Grecque, il existe même un mot spécial pour désigner un jeu fait à l’occasion de Pâques avec les œufs : le “tsougrisma”. Il signifie littéralement "battre" et désigne l’action de frapper deux œufs l’un contre l’autre, après la messe de la Résurrection. Celui dont l’œuf reste intact est considéré comme étant béni pour l’année à venir. 

Les traditionnels œufs peints de la Pâques orthodoxe. 

En Russie, les œufs peints ainsi que les autres mets réalisés sont bénis par le prêtre, la veille de Pâques. Deux plats sont d’ailleurs emblématiques de cette fête religieuse là-bas : le koulitchs, la paskha.

Le premier désigne une brioche en forme de cylindre décorée avec un glaçage blanc coulant. Le second est un gâteau au fromage blanc, raisin et noix, en forme de pyramide pour rappeler le Saint-Sépulcre. Ces deux plats représentent l’abondance retrouvée après le Carême. En mangeant ces plats bénis une fois Pâques passée, on dit que le croyant s’unit au divin. 

Les Grecs orthodoxes préparent eux-aussi des plats typiques à l’occasion de Pâques, mais ce ne sont pas les mêmes. L’aliment à l’honneur est plutôt l’agneau rôti à la broche en l’occurrence. Ils mangent également le kokoretsj, des abats d’agneau entourés de ses boyaux rôti à la broche. Le tout est accompagné de salades, de pommes de terre au four, de mezze et bien sûr des œufs colorés. 

Chez les orthodoxes, les plats préparés pour Pâques sont bénis avant d'être mangés.

La procession de l’Épitaphe
Lors du Vendredi saint, alors que les catholiques vénèrent la croix, symbole de la crucifixion, les orthodoxes eux prient autour du linceul du Christ. C’est ce qu’on appelle la procession de l’épitafios, parfois écrit épitaphios et que l'on peut traduire par épitaphe, en français. 

En Grèce, ce sont les jeunes filles qui ont la responsabilité de décorer le dais funéraire, c’est-à-dire une sorte de civière en bois, symbole du cercueil du Christ, avec des fleurs, des guirlandes ou des tissus brodés. Dans certaines régions, les fidèles gardent ces fleurs considérées comme miraculeuses. 

Dans certains pays, une effigie de Judas est fabriquée puis brûlée au cours de cette procession. Enfin, c’est ce soir-là que les croyants ont pour habitude de se rendre sur les tombes de leurs proches.


Le Saint Feu et les "lambadas" grecs
Le point culminant des célébrations de Pâques a bien évidemment lieu dans la nuit du Samedi saint au dimanche. Si les catholiques ont pour tradition d’allumer le cierge pascal au cours de la vigile pascale, les orthodoxes du monde entier eux reçoivent et se partagent une flamme bien particulière et mystérieuse ! 

Celle-ci vient directement du Saint-Sépulcre, où elle s’est allumée toute seule quelques heures plus tôt, sans explication et sans aucune intervention humaine. Cette chose étonnante se produit dans la chapelle construite à l’endroit où se situerait le tombeau du Christ, à l’intérieur du Saint-Sépulcre. Le patriarche orthodoxe de Jérusalem y pénètre et en ressort triomphalement en brandissant des cierges enflammés. 

Dans une grande liesse, la flamme (dont on dit même qu’elle ne brûle pas) se transmet alors de cierges en cierges, et est ensuite acheminée grâce à des vols spéciaux vers les Églises orthodoxes de l’étranger.

C’est une ville de Grèce qui la reçoit en premier. Dans ce pays, les bougies sont traditionnellement ornés de symboles religieux, réalisés avec de la cire d’abeille ou entourés par des rubans. C’est la coutume de la Lambada. En principe, cette bougie décorée est offerte par le parrain et la marraine et s’accompagnent de cadeaux. Une fois la messe passée, les Grecs essaient de garder cette bougie allumée pendant au moins quarante jours, jusqu’à l’Ascension. 

À Pâques, les orthodoxes reçoivent la lumière d'une flamme allumée au Saint-Sépulcre à Jérusalem. Celle-ci est acheminée partout dans le monde par des vols spéciaux. 

La nuit du Samedi saint et les feux d’artifice en Grèce
Outre les bougies, les Russes ont une autre façon de symboliser la Résurrection. Dans la nuit du Samedi saint, ils ont pour coutume de faire une procession dans les rues, derrière la croix et les icônes. La procession se termine devant les portes de l’église, qui s’ouvrent, symbole de la Résurrection du Christ. À ce moment-là, le prêtre annonce "le Christ est ressuscité" et tous répondent "en vérité, il est ressuscité". Cet échange se reproduit entre chaque personne, les jours qui suivent Pâques. 

En Grèce, l’autre tradition de la nuit de Pâques est de tirer des feux d’artifice et de claquer des pétards après la messe. Ils sont tous lancés vers minuit, ce qui créé de véritables bouquets de couleurs dans le ciel. Un moment magique, bien que dangereux. 

En rentrant, les orthodoxes grecs front trois signes de croix au-dessus de leur porte d’entrée pour bénir leur maison. Puis ils se retrouvent en famille autour de la magiritsa, la soupe avec les abats de l’agneau du lendemain. Ce plat est destiné à soulager l’estomac après le long jeûne pendant les 40 jours de Carême et à le préparer au festin du lendemain. 

Au cours de tous ces jours de festivités, les orthodoxes bénéficient souvent de quatre jours de congés, du Vendredi saint au lundi de Pâques. 

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27 avril 2024 6 27 /04 /avril /2024 19:31

Qui s'interroge sur les rythmes du Moyen-Âge ira sans doute s'imaginer les travaux et les jours d'une civilisation avant tout rurale, or, l'immense travail de Jean-Claude Schmitt, directeur d'études à l'EHESS, n'aborde que de façon minime cet aspect de la question.

C'est une enquête sur l'Occident médiéval dans sa dimension civilisationnelle chrétienne et par le moyen principal des manuscrits et des enluminures qu'elle nous a laissés qui constitue la quasi-totalité de la richesse de ce livre.

Le mythe biblique de la création du monde en six jours suggère ainsi à l'érudition de l'auteur un découpage en six parties de cette encyclopédie des rythmes du Moyen-Âge.

Mais le bonheur du lecteur résidera plus dans la découverte inattendue des exemples et des illustrations que dans l'utilisation rationnelle de la table des matières.

***

Ces rythmes concernent donc avant tout la vie religieuse et la culture chrétienne.

L'auteur nous expliquera les calendriers, le comput pascal, l'année liturgique, la vie monastique au fil des heures selon la règle de saint Benoît.

Mais l'auteur n'aborde pas le plus facile à comprendre pour l'homme contemporain quand il explique comment les « neumes » figurent le rythme du plain-chant avant l'invention des notes et des lignes de la portée.

Plus attrayantes à suivre sont ses analyses sur les alternances géométriques et chromatiques des images de psautiers. Ce très beau livre des éditions Gallimard contient de nombreuses reproductions de ces psautiers, pour le plus grand plaisir des admirateurs d'enluminures médiévales : psautier d'Ingeburge de Danemark (Chantilly, Musée Condé), psautier de Blanche de Castille (Paris, Bibliothèque de l'Arsenal), psautier du roi Saint Louis (BnF, Paris), psautier d'Elisabeth de Thuringe et psautier d'Egbert de Trèves, peu avant l'An Mil (Musée de Cividale del Friuli, Venezia Julia). À l'exception du dernier tous datent du XIIIe siècle.

Psautier de Blanche de Castille. f° 170. Parousie et Jugement dernier

En dehors des psautiers, on découvrira avec intérêt les miniatures du Liber divinorum operum d'Hildegarde de Bingen, vers 1150, (Lucques, Biblioteca statale).

Hildegarde de Bingen. f° 6 Lucques, Biblioteca statale.

Le f°6 montre une vision de l'homme comme microcosme, le macrocosme et la Trinité. En bas à gauche, l'abbesse en prière.

Au f°38, les travaux agricoles s'inscrivent dans le cycle des quatre saisons.

Hildegarde de Bingen. f° 38. Lucques, Biblioteca statale.

Si l'on remonte au siècle précédent, Jean-Claude Schmitt nous fait admirer deux œuvres de grande dimension et totalement différentes où le rythme se retrouve d'abord verticalement, et ensuite horizontalement.

Il aborde en effet le rythme de la narration et des motifs du décor au long des 70 mètres qu'il nous reste de la Tapisserie de Bayeux brodée entre 1077 et 1082.

Je n'insiste pas sur ce monument bien connu.

Par ailleurs, il nous convie à étudier de près une œuvre commandée par l'évêque Bernward de Hildesheim.

Celui-ci a fait fondre dans le bronze vers 1015 deux imposantes portes, pour son église : des vantaux d'une seule pièce et une colonne imposante.

Vantaux de bronze de l'entrée principale de la cathédrale de Hildesheim

Quel rythme ici ? Les scènes vétérotestamentaires de la porte de gauche se déroulent de haut en bas, et les scènes néotestamentaires de bas en haut sur l'autre vantail de manière à se terminer par la représentation de l'Ascension.

Quant à la colonne de près de 4 mètres, également dans cette cathédrale, elle est torsadée à la manière de celle de Trajan à Rome.

***

Une autre approche de ce livre fort riche consiste à évoquer les surprises que l'on y découvre quand l'auteur abord le rythme des voyages, le rythme du temps historique, ou bien encore les changements de rythmes. On trouvera ci-dessous quelques exemples des trésors à découvrir.

Si, vers 1340, les écoliers d'un collège parisien, le collège de l'Ave Maria, déambulaient dans Paris pour se rendre dans les églises paroissiales pour distribuer les aumônes, des déplacements d'une tout autre ampleur attendaient les moines des grandes abbayes qui parcouraient le pays, d'un monastère à l'autre, pour échanger des nouvelles sur les décès survenus.

Le trajet des moines messagers était répertorié sur un rouleau, un « titulus » précisant chaque étape.

Ainsi par exemple, « Le rouleau de Guifred, comte de Cerdagne et moine de Saint-Martin-de-Canigou, mort le 31 juillet 1049, ne comprend pas moins de cent un tituli pour une longueur de 33,6 mètres !

Les messagers l'ont porté sur 3 800 kilomètres, pendant toute l'année 1051. »

Les pèlerinages n'étaient donc pas la seule explication religieuse des longues marches médiévales.

Dans un autre domaine, celui-ci complètement séculier, voici le voyage de Charles IV de Bohême à Paris en janvier 1378.

L'empereur vient rencontrer le roi de France Charles V ; cela donne lieu dans les Grandes Chroniques de France à une série d'enluminures (conservées à la BnF) où le roi figure entre l'empereur et son fils, chevauchant dans Paris, ou assistant à un banquet dans la grande salle du palais, tandis qu'un spectacle commémore en « entremet » la prise de Jérusalem !

Reprenant la formule de Bernard Guénée selon laquelle « la grande affaire de l'érudition médiévale a été la conquête du temps », l'auteur montre comment les six âges du monde selon saint Augustin ont continué d'inspirer les lettrés et les enlumineurs tandis que Joachim de Flore (vers 1132-1202) imagine un diagramme résumant les temps selon la figura des « cercles trinitaires ».

Les cercles du Père, du Fils, et de l'Esprit, avec les lettres I.E.V.E. couvrent toute la durée de l'histoire depuis l'Alpha jusqu'à l'Oméga.

À la jonction centrale des cercles, on lit le nom de Jean-Baptiste, cousin et précurseur du Christ.

Ce rythme augustinien est repris par Pierre le Mangeur, alias Petrus Comestor, vers 1270, pour sa Scolastica historia.

Il se retrouvera plus tard dans le Breviari d'Amor de Matfre Ermengaud (XIVe siècle). Autour de l'ange du temps, les six âges du monde à lire dans le sens inverse des aiguilles de nos montres : d'Adam et Ève à Noé (la Chute et l'Arche dans la première image), de Noé à Abraham (avec Noé dans sa vigne), d'Abraham à Moïse (le sacrifice d'Isaac), de Moïse à Salomon (les Tables de la Loi), de Salomon au Christ (le Temple), enfin de la Nativité au Jugement dernier (avec la Vierge et l'Enfant une Eglise triomphante). 

Matfre d'Ermengaud, Breviari d'Amor. BnF, fr. 857. f°57v.

Amplifiant le propos du saint évêque d'Hippone, Hartmann Schedel invente « un septième âge dédié à l'Antéchrist et au Jugement dernier, en écho eut-être aux “pronostications” en vogue à la fin du Moyen-Âge » et il en sort un bel incunable, la Chronique de Nuremberg, imprimé en 1493, dont les illustrations en couleurs proviennent de 652 bois différents !

***

À l'approche non de l'An Mil, mais de 1033, soit un millénaire après la Passion du Christ, une inquiétude confuse s'empare de l'Occident : on cherche les signes avant-coureurs de la venue de l'Antéchrist.

La quête du pardon des péchés reprend au milieu du XIIIe siècle et les flagellants suivent la mort de saint Dominique.

En 1219, cinquante ans après la mort de Thomas Becket, le pape Honorius III concède pour le « jubilé » du saint, quarante jours d'indulgences aux pèlerins qui iront sur sa tombe.

La rumeur d'un grand pardon enfle pour le 1er janvier 1300 et le 17 février suivant le pape Boniface VIII accorde l'indulgence plénière aux pèlerins : c'est le jubilé de 1300.

Pourquoi cette date ? Un des maîtres des Spirituels franciscains, Pierre Jean Olivi avait fixé à 1300 l'achèvement de la durée des mille deux cent soixante années prévues par l'Apocalypse ; et à cette date devait commencer, selon Joachim de Flore, l'avènement du troisième « état », celui de l'Esprit. (voir ci-dessus).

En proclamant le jubilé, le pape désamorce les thèses millénaristes. Les jubilés reviendront pour les millésimes ronds, dès 1400, et Clément VI accède à la demande du peuple romain pour instaurer un jubilé en 1350 et au siècle suivant un rythme de 25 ans est même établi après le retour de la Papauté à Rome.

Autre nouveauté en cette époque des danses macabres, les chrétiens commencent à se soucier de l'anniversaire de leur naissance.

La quarantaine venue, Opicinius de Canistris, un clerc avignonnais, réalise un diagramme ingénieux de sa vie, depuis sa naissance le 24 décembre 1296, sous forme de cercles concentriques (Bibliothèque Vaticane).

Jusqu'à présent l'Église fêtait les saints à l'anniversaire de leur décès c'est-à-dire de leur martyre, et seules les naissances du Christ, de la Vierge et de Jean-Baptiste figuraient au calendrier.

Cette innovation qu'est l'anniversaire de la naissance va de pair avec l'essor de l'astrologie, devenue fort populaire aux XV-XVIe siècles, et c'est aussi du XIVe siècle que datent les premiers registres paroissiaux connus.

***

À tous ces rythmes anciens ou nouveaux s'opposent des événements qui les brisent, notamment l'interdit pontifical — les cloches se taisent sur le royaume de France parce que Philippe Auguste a répudié la reine Ingeburge pour s'unir à Agnès de Méranie — ou encore, mais sur le plan littéraire, le farniente du Pays de Cocagne, vers lequel voguent les passagers de la Nef des fous de Jérôme Bosch (Musée du Louvre, vers 1500) inspiré par le roman de Sebastian Brant.

À plus forte raison les libres résidents de l'abbaye de Thélème casseront tous ces rythmes dans l'utopie rabelaisienne fondée sur cette unique règle « Fais ce que voudras ».

***

Avec ce livre très documenté, au contenu souvent inattendu dont je n'ai donné qu'un modeste aperçu, c'est en réalité à un extraordinaire... dictionnaire amoureux du Moyen-Âge que nous avons affaire, un ouvrage à déguster lentement !

• Jean-Claude Schmitt. Les rythmes au Moyen-Âge. Gallimard, Bibliothèque illustrée des Histoires. 2016, 718 pages.

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